Coups de froid en Europe sur la renaissance du nucléaire (17 mai 2010)
A
l’instar du printemps qui tarde à venir et freine la végétation
après les jours prometteurs d’avril, voilà que coup sur coup –
au début mai – trois coups de froid sont venus s’abattre sur les
perspectives de reprise du nucléaire en Europe. Il s’agit tour à
tour de la démission (4 mai) en Italie du ministre de l’industrie,
puis (9 mai) de l’échec en Allemagne des partis au pouvoir dans
une élection locale Rhénanie-Du-Nord-Westphalie et enfin (11 mai) à
Londres de l’accord de coalition entre Conservateurs et Libéraux
Démocrates pour gouverner le pays pendant les 5 prochaines années.
Espérons que la série s’arrêtera là et que ces trois évènements de mauvais présage n’auront pas des suites aussi définitives qu’il y parait au premier abord. Leur concomitance a néanmoins de quoi frapper.
Les trois évènements n’ont aucun lien entre eux :
C’est par suite d’un scandale financier que le ministre Claudio Scajola, l'un des artisans de la relance nucléaire en Italie et très impliqué dans tout ce qui touche le secteur de l'énergie, a dû démissionner.
Cette démission ne mettra sans doute pas un coup d’arrêt à la relance du nucléaire en Italie dont les besoins en énergie sont gigantesques. Il est clair cependant que l’industrie italienne vient de perdre un soutien de premier plan à la reprise nucléaire en Italie, ce qui est crucial dans la phase de lancement du programme vigoureux que souhaite mettre en œuvre le gouvernement italien dans un environnement local encore peu propice. A ce jour Mr Scajola n’a pas de successeur, c’est le chef de gouvernement qui assume le rôle de ministre de l’industrie !
C’est essentiellement du fait de la crise financière, économique, grecque, européenne – on ne sait plus désormais trop comment la définir – et également en raison des dissensions qui entravent le fonctionnement de la coalition CDU/CSU – FDP au pouvoir à Berlin que les électeurs allemands n’ont pas reconduit le pouvoir en place à Düsseldorf depuis cinq ans.
Par contrecoup la chancelière Angela Merkel perd la majorité au Bundesrat (chambre haute) ce qui compliquera sa tâche dans de nombreux domaines. Le gouvernement fédéral se trouve de facto dans l’incapacité de prolonger la durée de vie de 32 ans des centrales nucléaires fixée dans la loi de 2003 sur la fin du nucléaire.
Or c’était notamment pour ne pas compromettre le vote du 9 mai que la prolongation n’avait pas été réglée au cours des 6 derniers mois. On sait en effet que l’opinion allemande est assez largement hostile au nucléaire malgré les arguments extrêmement forts développés par les électriciens : besoins d’énergie déjà difficiles à satisfaire, centrales nucléaires en parfait état et encore aptes à produire pendant une trentaine d’années supplémentaires, gâchis économique et environnemental de détruire prématurément un outil industriel impossible à remplacer sans recourir aux énergies carbonées.
En Grande Bretagne la situation est tout autre, alors que personne n’attendait des élections générales de grandes conséquences en ce qui concerne le programme de développement du nucléaire tant les positions des conservateurs et des travaillistes, dans ce domaine, sont proches : accord complet sur les objectifs assorti seulement de nuances notamment en matière de procédures.
Et voilà que contre toute attente et contrairement à la tradition au Royaume Uni les électeurs n’ont pas eu de vote clair (parlement « suspendu »), de sorte que, fait rarissime, les conservateurs ont dû composer avec les libéraux pour constituer (11 mai) une coalition de gouvernement suffisamment large pour conduire le pays.
L’avenir dira si cette coalition est solide mais on peut déjà prévoir que sur le plan nucléaire les choses seront pittoresques, en effet, contrairement aux conservateurs, les libéraux sont hostiles au recours au nucléaire civil au point que – selon les commentateurs – l’accord de gouvernement préciserait que les libéraux ne s’opposeraient pas, à la chambre des Communes, lors des votes concernant le nucléaire mais garderaient toute leur liberté de parole pour expliquer leur opposition.
Dans ces circonstances on imagine que les électriciens soient inquiets : EDF (et AREVA) sont depuis plusieurs années très engagés en Angleterre et en Italie avec des programmes d’au moins 4 EPR dans chaque pays alors qu’EON et RWE, eux aussi très impliqués en Angleterre, piaffaient depuis longtemps pour se débarrasser de la loi de 2003 qui les handicape en Allemagne.
Dur printemps comme on le voit, et pas seulement pour ce qui est des températures actuelles. Il y a cependant quelques hirondelles ici ou là :
En Finlande d’abord où fin avril le gouvernement vient de donner son accord pour la construction de 2 des 3 nouveaux réacteurs que les électriciens lui proposaient, accord qui devrait être prochainement entériné par le parlement.
En Espagne où le Conseil de Sûreté Nucléaire vient d’approuver le fonctionnement de la centrale d’Almaraz pendant 10 années supplémentaires. Cet accord est soumis à l’approbation du ministre qui sera sans doute bien embarrassé comme il l’a été l’an dernier avec l’autorisation qu’il avait dû accorder pour 4 ans (2009-2013) à Santa Maria alors que, déjà, le Conseil avait recommandé 10 ans. Dans le contexte actuel où le gouvernement n’est toujours pas revenu sur son intention d’arrêter le nucléaire le ministre aura d’autant plus de mal à ne pas suivre le Conseil qu’il s’agit cette fois de deux réacteurs de 950MWe de type PWR mis en service en 1983 et 1984 donc plus récents et plus puissants que Santa Maria (BWR de 450MWe mis en service en 1971).
En Belgique où le ministre du gouvernement démissionnaire a exprimé sa "frustration" de n’avoir pu aboutir dans le dossier nucléaire car le gouvernement est en effet tombé juste au moment où le projet de loi était prêt à être déposé. Le ministre a toutefois rappelé que les nécessités d’approvisionnement et les engagements européens de réduction d’émissions sont des éléments "inéluctables", que son successeur ne pourrait ignorer. Dans ce pays compliqué comme l’est la Belgique il est donc permis d’espérer que le débat ne sera pas réouvert.
Parmi les autres bonnes nouvelles on peut citer le fait qu’ATMEA-1 (AREVA/MHI), dont c’était la première soumission, fait partie des 3 fournisseurs présélectionnés par la Jordanie, la décision en faveur de la proposition russe, la seule encore en piste, pour le projet turc de Akkuyu … ainsi que la nouvelle tentative lancée par l’administration américaine pour promouvoir la loi « Clean Energy Jobs and American Power Act ». Sera-t-elle la bonne ? Nous serons sans doute amenés à en parler…un paquet de 1000 pages.
Malgré ces dernières bonnes nouvelles, vivement les beaux jours !
Bernard Lenail